Thème de l'année
Cas d’urgence s’entend dans l’actualité de la crise sanitaire liée au réel du virus de la « Covid–19 » et dans la position du psychanalyste en tant qu’il rejoint « la subjectivité de son époque ».
C’est au cas par cas que l’on peut dire quelque chose des effets de la crise, au un par un. Chacun a donc dû apprendre à s’en débrouiller alors que la crise levait aussi le voile sur la position de l’État : urgence des masques, urgence des produits de réanimation, urgence des blouses et enfin urgence du vaccin. Toutefois ce traitement de l’urgence n’est pas le même dans la psychanalyse que dans la société et la civilisation.
Dès le confinement annoncé ou dans son après-coup, nombre d’analyses se sont poursuivies en s’appuyant, grâce à un transfert déjà établi, sur les technologies modernes.
Y-a-t-il une urgence à situer l’offre analytique comme offre singulière dans le temps de cette crise, à la manière dont Lacan nous invitait à la situer par rapport à l’universalisation propre à notre temps ?
« Cas d’urgence » convoque également la question du temps dans la cure analytique comme question théorique pour la psychanalyse. Il s’agit de la technique psychanalytique et de sa visée, voire de ses finalités. Freud dans sa théorisation avait bien souligné la dimension intemporelle de l’inconscient et la temporalité lente requise par le temps d’élaboration du sujet. Lacan corrèle sa conception du temps à la théorie du signifiant, puis à celle de l’objet a et du réel.
Aussi existe-t-il une clinique différentielle du temps selon les structures cliniques. Il s’agira donc d’apprécier les différentes déclinaisons de l’urgence suivant chaque structure.
Effaçant la question du temps, la structure obsessionnelle alterne entre impulsion, procrastination ou suspension. La structure hystérique, qui souffre de réminiscences, reste fixée par l’amour au père mort et son désir insatisfait la conduit à la rencontre toujours manquée avec l’autre.
Dans la psychose, il y a plusieurs variantes qui convergent vers un temps sans limites, propice parfois aux passages à l’acte.
Lacan s’est intéressé à l’urgence à propos de l’entrée en analyse. Un sujet qui s’adresse à l’analyste le fait dans une forme d’urgence, « c’est maintenant ou jamais », « quelque chose presse ». Cette urgence est à rapprocher de son réel, c’est-à-dire de sa souffrance subjective.
Qu’est-ce-qui peut faire entrer le sujet dans la temporalité puisque l’inconscient ne connaît pas le temps ? Et comment l’analyste introduit-il la dimension du temps dans la cure ?
Lacan a insisté sur un temps non pas chronologique mais logique dans la cure ; le temps qu’il faut à chaque sujet pour déployer sa chaîne inconsciente, faire ses allers-retours dans la répétition, entre aliénation et séparation. Ce temps logique est propre à chacun.
C’est un temps long, non maîtrisable, et pourtant nécessaire - l’instant de voir où le sujet mesure ce que son identité doit à l’Autre, le temps de comprendre et le moment de conclure.
À ce propos Lacan convoque la fonction de la hâte qui n’est ni l’urgence, ni la précipitation. Cette hâte qui se tient à côté de la temporalité lente requise pour l’analyse.
La fonction de la hâte n’est correcte qu’à produire ce temps : le moment de conclure [1].
C’est par un maniement de l’objet a que le temps logique est introduit dans la cure. Si on songe au fantasme, il s’indique d’une fixité dans le rapport du sujet au temps. Quant au symptôme, par sa constance, il témoigne d’un temps qui s’est arrêté. C’est le temps du sujet, ce n’est plus le temps de l’Autre. Un temps de rencontre pour le sujet avec l’objet qui le cause. L’objet a, lié à la question du temps joue sa fonction dans la hâte. La hâte à poser l’acte qui sépare.
L’analyste introduit ainsi le sujet dans le temps de la hâte.
Freud considérait l’angoisse comme un point nodal dans la représentation du temps, en tant qu’elle est un affect qui fait irruption et qui amène une discontinuité, en lieu et place de la constance du symptôme et de la fixité du fantasme. Le maniement du temps est donc lié à celui de l’angoisse, laquelle confronte le sujet à son désir. Le temps qu’il faut au sujet pour se faire à son désir.
La question du temps est aussi en lien avec l’interprétation, le tranchant même de l’interprétation qui surgit dans la séance. La ponctuation de la séance qui vise le réel du sujet, le hors sens, le non-né, les limbes, ce qui n’est pas encore là, conduit au-delà du déchiffrage de l’inconscient. Une cure vise à écrire ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire.